Il est 22 h 55, voie 2 bis, le RER WQWF entre en gare de La Plaine-Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), lumières éteintes, portes fermées, « pour ne pas donner envie », explique la femme brune en parka rouge postée au milieu du quai en direction de Paris. C’est un train bonus, l’une des huit « navettes » que Shérazade B., qui n’a pas souhaité donner son nom, cadre à la SNCF, a sous le coude, ce samedi 14 octobre, pour reconduire les 24 000 fans de rugby venus par la ligne B assister au quart de finale de la Coupe du monde.
L’Irlande a perdu face à la Nouvelle-Zélande depuis une douzaine de minutes, et, déjà, les rampes d’accès au quai sont bondées. Un train « régulier » arrive. A son signal, des agents libèrent la foule par vagues. Un RER B, c’est 1 700 personnes. Un deuxième enchaîne. A 23 h 09, la cheffe de site, c’est son rôle, ce soir-là, comble douze minutes de « trou » avec le WQWF. Deux personnes de la SNCF la suivent de près. D’autres observent d’un peu plus loin. Dans moins d’un an, lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, cela sera peut-être leur tour de répartir sans traîner autant de monde dans des trains.
A 23 h 12, un nouveau RER bonus entre en scène. « On charge, on charge », insiste Shérazade B. Un œil sur les écrans, l’autre sur la marée humaine agglutinée à l’étage au-dessous, une radio et un téléphone en main, c’est elle qui jauge du remplissage des rames, décide des départs. La cheffe de file est connue de tous ; les équipes de la police ferroviaire comme de la police nationale la saluent.
La deuxième navette se remplit, mais un classique aussi, ce qui n’était pas prévu. « Retire-moi le régulier, on fait partir le fac [le supplémentaire] », annonce-t-elle à la radio. Léger flottement. Suffisant pour qu’un premier voyageur doute – « lequel part en premier ? » – et s’engouffre dans le train d’en face. D’autres embraient. « On ne court pas », s’époumonent les agents en rouge – beaucoup d’étudiants –, qui regardent, impuissants, le train se vider. En bas, la foule en vert entonne La Marseillaise. Au bout du quai, un homme perd sa chaussure sur la voie. Le régulier finit par partir ; la navette suit, à moitié vide. « Un malentendu », reconnaît la cheffe de site, mais c’en est trop pour les forces de l’ordre, particulièrement à cran, ce jour-là.
« Vos trains ne sont pas assez remplis »
La veille, vendredi 13 octobre, la France est passée au niveau « urgence attentat », après l’assassinat du professeur Dominique Bernard par un terroriste, à Arras. La gare est pleine à craquer. « Là, ça n’est pas possible. Vos trains ne sont pas assez remplis », s’énerve une cheffe de la sûreté ferroviaire. « Je sais, un malentendu », répète la cadre SNCF, formatrice à l’université Transilien la semaine. « Mais moi, on m’appelle derrière. On a pour ordre d’évacuer le plus rapidement possible ! » La police nationale s’en mêle. « On ne peut pas laisser autant de monde devant les barrières. Vu le contexte, je suis obligé de vous mettre en garde. » « On fait trente Stade de France chaque année, monsieur, intervient posément Pascal Desrousseaux, directeur de la branche nord du RER B. Gardons le calme, on a des trains. Tout le monde sera content quand les gens seront partis. »
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