Ils sont venus en famille, en couple ou entre amis pour tester Whoosh, le premier train à grande vitesse de l’Asie du Sud-Est, qui relie désormais Djakarta, la capitale indonésienne, à Bandung en quarante minutes seulement – contre trois heures précédemment. Faute de place, Januar, infirmier de 32 ans, se contente d’admirer sur le quai la silhouette effilée de cet engin rouge et blanc, les couleurs de l’Indonésie, capable d’atteindre les 352 kilomètres-heure. « J’aime la vitesse, c’est bien d’avoir ça chez nous », approuve-t-il. L’inauguration du premier train à grande vitesse chinois en dehors de la Chine, gratuit les deux premières semaines pour ceux qui ont eu la chance de s’inscrire à temps, s’est déroulée le 2 octobre, soit dix ans après un discours historique prononcé par le président chinois, Xi Jinping, devant le Parlement de Djakarta. Le nouveau maître de Pékin y avait lancé les « routes de la soie maritimes », un mois après avoir révélé, lors d’une visite au Kazakhstan, son grand projet des « routes terrestres » au-delà des frontières chinoises.
Pour le président indonésien, Joko Widodo, élu l’année suivante sur la promesse de doter son pays d’infrastructures modernes, la Chine est alors apparue comme un partenaire providentiel. En dix ans et deux mandats successifs, celui que l’on surnomme « Jokowi » mais aussi « Bapak Infrastruktur » (« M. Infrastructure ») a hissé l’immense archipel au rang de « poster boy », porte-étendard de la mission d’expansion économique et stratégique chinoise, depuis rebaptisée « la ceinture et la route » (Belt and Road Initiative, ou BRI), dont le troisième sommet vient d’être organisé à Pékin, les 17 et 18 octobre.
Durant cette décennie, une ribambelle de projets ont vu le jour en Indonésie, notamment dans le secteur de l’énergie, comme la centrale hydroélectrique sur le fleuve Kayan à Bornéo, ou encore les parcs industriels consacrés à l’industrie du nickel et ses dérivés à Sulawesi (ex-Célèbes) et aux Moluques, sans oublier les « routes de la soie numériques » portées par les géants chinois de la télécommunication et d’Internet, Huawei et Alibaba… Tous contribuent à forger la « communauté de destin pour l’humanité », appelée de ses vœux par Xi Jinping, et cela sans avoir à passer par les arcanes d’une aide au développement occidentale jugée tatillonne et néocolonialiste.
« Bandung 2.0 »
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Whoosh – dont le nom, a expliqué Jokowi, « s’inspire du son que produit ce train quand il file à toute allure » – achève sa course à Bandung. La ville revêt une forte résonance politique. C’est dans cette ancienne cité coloniale hollandaise, devenue « capitale de l’Afrique-Asie », que s’étaient réunis les Etats non alignés, le 18 avril 1955, à l’initiative de la Chine et de l’Indonésie. Aujourd’hui, c’est en quelque sorte un « Bandung 2.0 » qui se bâtit, adossé à la fascination que suscitent les prouesses technologiques chinoises auprès d’une opinion publique indonésienne indifférente à la face sombre de l’autoritarisme chinois, et prompte à taxer les Etats-Unis d’impérialisme et d’islamophobie.
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