Samedi 14 octobre au soir, ils seront des dizaines de milliers à faire frissonner le Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Tous en vert, tous debout pour entonner Ireland’s Call (« l’appel de l’Irlande »), l’hymne d’un seul peuple. Dans les tribunes, il n’y aura plus ni catholiques, ni protestants, ni nationalistes, ni loyalistes. Au moment où le XV du Trèfle, mené par Jonathan Sexton, affrontera la Nouvelle-Zélande pour une place – inédite – dans le dernier carré de la Coupe du monde de rugby, ses supporteurs s’époumoneront tous ensemble, tous unis derrière l’Irlande, leur île.
Arrêtons-nous un instant sur les paroles de ce chant patriotique au tempo plutôt militaire : « From the four proud provinces of Ireland
– Ireland ! Ireland !
– Together standing tall
– Shoulder to shoulder
– We’ll answer Ireland’s call ! »
(« Depuis les quatre fières provinces d’Irlande – Irlande ! Irlande ! – Ensemble la tête haute – Epaule contre épaule – Nous répondrons à l’appel de l’Irlande ! »)
En évoquant « quatre fières provinces » rassemblées, l’hymne abolit symboliquement la frontière qui sépare, depuis 1922, les trois provinces de l’Eire (Leinster, Munster et Connacht) et celle de l’Ulster, au nord, avec six comtés sur neuf rattachés au Royaume-Uni.
On doit à la fraternité du rugby cette prouesse fédératrice, réalisée en dépit des années de guerre civile qui déchirèrent l’île. Car si l’Irlande compte deux équipes nationales de football – celle d’Irlande du Nord et celle de la République d’Irlande –, ce n’est pas le cas au rugby, où un seul groupe, mariant joueurs du Nord et joueurs du Sud, représente le pays lors des compétitions internationales. Le XV du Trèfle dépend d’une fédération unique, créée en 1879 et dont le drapeau fit longtemps scandale ayant toujours arboré les emblèmes des quatre provinces.
Un chant rassembleur commandé
Malgré cette volonté farouche de jouer à l’unisson, le malaise est patent sur le terrain et dans les tribunes jusqu’à la fin des années 1980. Avant un match, à Belfast, en Irlande du Nord, l’orchestre joue God Save the Queen, l’hymne national du Royaume-Uni. Quand à Dublin, terre de la République d’Irlande, c’est un chant gaélique qui résonne : l’Amhran na bhFiann, dont le titre anglais est A Soldier’s song (« la chanson du soldat »). Cet air était, entre autres, celui des rebelles nationalistes durant l’insurrection de Pâques 1916 – la révolte contre les Britanniques qui a eu lieu à Dublin –, qui mena à la partition de 1922.
Les images retransmises à la télévision lors du Tournoi des cinq nations (France, Irlande, Ecosse, Angleterre, Pays de Galles) montraient des joueurs certes alignés ensemble sur la pelouse, mais empêchés de chanter d’une même voix : ceux du Nord refusaient d’entonner la Soldier’s song, ceux du Sud restaient muets quand retentissait le God Save the Queen.
Il vous reste 26.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.