L’arrivée, au début du mois d’août, de l’attaquant international algérien Youcef Belaïli (31 ans), champion d’Afrique 2019, au Mouloudia Club d’Alger n’est pas passé inaperçue. Le joueur, réputé talentueux mais ingérable – ses dernières expériences en France (Brest et AC Ajaccio) ont été marquées par de nombreux écarts disciplinaires – y a signé un contrat de deux ans. Mais c’est davantage le salaire qu’il percevra qui a fait parler en Algérie, où les rémunérations de certains footballeurs ont tendance à flamber.
En effet, les médias locaux et des sources proches du club ont évoqué une somme mensuelle de 75 000 euros, faisant de l’Oranais le joueur le mieux payé de toute l’histoire du championnat algérien. Le Mouloudia s’est empressé de démentir ce chiffre, mais sans donner plus de précision sur ce que serait le véritable salaire du joueur. « Ce montant semble plausible. Le MC Alger a beaucoup d’argent, puisque son actionnaire principal est la Sonatrach, [la compagnie nationale des hydrocarbures], l’une des plus grosses entreprises d’Afrique », précise Yazid Ouahib, chef du service des sports du quotidien El Watan. Au mois de juillet, le club avait déjà recruté le défenseur Djamel Benlamri (33 ans) avec un salaire de près de 30 000 euros.
Cette inflation des salaires ne concerne pas tous les clubs algériens, mais elle symbolise le fossé qui est en train de se creuser entre ceux qui ont pour actionnaire principal une société étatique et les autres. Outre le MC Alger, l’USM Alger (Serport) le CS Constantine (Entreprise nationale des travaux aux puits, filiale de la Sonatrach), le CR Belouizdad (Madar Holding) la JS Saoura (Entreprise algérienne du forage, filiale de la Sonatrach), l’ES Sétif (Société nationale de l’électricité et du gaz), la JS Kabylie (Mobilis, filiale de Groupe Telecom Algérie) sont la propriété d’entreprises d’Etat et désormais le MC Oran, qui vient de passer sous la direction de Hyproc Shipping Company, qui appartient elle aussi à la Sonatrach.
« On sait que l’USMA ou Belouizdad versent des salaires élevés à certains joueurs, jusqu’à 30 000 euros par mois. Mais le MC Alger va plus loin et il n’est pas impossible qu’on assiste à terme à une surenchère de la part d’autres clubs, notamment ceux qui sont gérés par des sociétés étatiques », intervient un agent de joueurs sous couvert d’anonymat.
Un frein à une vraie politique de formation des joueurs
Les salaires versés par les clubs les mieux armés financièrement font évidemment débat. « C’est considéré comme de l’argent public, puisque certains d’entre eux sont gérés par les sociétés d’Etat. Et dans un pays où beaucoup de gens ont des difficultés à joindre les deux bouts, cela pose question », remarque Yazid Ouahib. Des chiffres qui soulèvent d’autant plus de questions tant le niveau du championnat de Ligue 1 est notoirement très moyen et les performances des équipes algériennes sur la scène continentale décevante, même si l’USMA a remporté la dernière édition de la coupe de la Confédération africaine de football.
« Si des clubs parviennent à verser des salaires élevés pour de très bons footballeurs et que cela leur permet d’être au niveau des Egyptiens, des Marocains, des Tunisiens ou des Sud-Africains, pourquoi pas. Mais ce n’est pas le cas », constate Nabil Neghiz. Cet entraîneur, qui a quitté l’USM Khenchela pour rejoindre l’Olympique de Béja (Tunisie) en juillet, pointe également du doigt la situation économique précaire de plusieurs clubs algériens. « Certains proposent des salaires de 8 000, 10 000 ou 12 000 euros, mais qu’ils n’ont pas les moyens de payer sur la durée du contrat et les litiges avec les joueurs sont nombreux. »
Le choix économique privilégiant le versement de salaires attractifs constitue un frein à une vraie politique de formation des joueurs. Un constat établi par Ali Fergani, ancien milieu de terrain international (1973-1986) puis sélectionneur des Fennecs (1995-1996 et 2004-205). « En Algérie, il y a pourtant un gros potentiel. La Tunisie, l’Egypte et le Maroc, où des clubs versent aussi de bons salaires, forment beaucoup plus de joueurs. Mais ici, on préfère dépenser des fortunes en transferts et en salaires plutôt que d’en consacrer aux jeunes. »
Dans les années 1970 et 1980, l’Algérie était réputée pour la qualité de sa formation et le championnat local fournissait de nombreux joueurs à la sélection nationale, comme le rappelle Ali Fergani : « Désormais, hormis pour le club du Paradou, peu de moyens sont consacrés à la formation et on se tourne majoritairement vers les binationaux, dont beaucoup formés en France. Sans eux, notre sélection ne serait pas au niveau qui est le sien. »