Un jour, dans un café parisien, je discutais avec une romancière, originaire de Tirana, qui peinait à trouver le sujet de son prochain livre. « Tu n’as qu’à écrire sur ta propre vie », suggérai-je. Elle me regarda comme si j’étais folle. « Personne n’a envie de lire un livre sur une Albanaise à Paris », répondit-elle.
Je me suis alors rendu compte que je profitais allégrement du mythe de « l’Américaine à Paris ». J’en avais tiré de multiples articles, détaillant, par exemple, la psychothérapie que j’avais suivie en français dans un texte intitulé « Une névrosée américaine à Paris », ou l’investigation de mes racines européennes sous le titre « Une juive américaine à Paris ». Quand je suis tombée gravement malade, mon éditeur new-yorkais m’a demandé de pondre quelque chose sur « le fait d’être une Américaine cancéreuse à Paris » – je lui ai ri au nez mais j’ai fini par l’écrire.
Je n’avais rien prévu de tout cela. J’ai grandi à Miami, entourée de réfugiés cubains, avant de devenir correspondante de presse pour l’Amérique latine. Mais, un soir, à Buenos Aires, j’ai fait la rencontre d’un journaliste britannique de passage, qui venait de s’acheter un tout petit appartement à Paris. Sur un pressentiment – un pari romantique, doublé de l’espoir fou que mon espagnol puisse passer pour du français –, j’ai décidé de m’installer avec lui, près du faubourg Saint-Antoine.
Depuis, je m’efforce de comprendre ce qu’être « une Américaine à Paris » signifie. Et j’ai vu ce mythe largement évoluer au cours des vingt dernières années. Il prend racine en 1767, avant même que les Etats-Unis n’existent vraiment, avec la visite de Benjamin Franklin, sur qui la mode parisienne et les mœurs locales font grande impression. Quelques jours après son arrivée, il s’est déjà rendu chez un tailleur et un perruquier, et se trouve « quasiment sur le point de faire l’amour à la femme de mon ami », comme il l’écrit dans une lettre.
L’enthousiasme américain s’accompagne souvent d’un certain sentiment de désapprobation. Lors de son séjour en France, Abigail Adams, l’épouse d’un futur président des Etats-Unis, a du mal à nouer des relations amicales avec les Françaises et s’étonne de rencontrer un couple de bourgeois vivant chacun dans son propre appartement. « Si vous me demandez quel est le sens de la vie ici, je vous répondrai : le plaisir », s’émerveille-t-elle dans une lettre de 1784. Thomas Jefferson, alors ambassadeur en France, écrit l’année suivante que le pays a deux siècles de retard par rapport aux Etats-Unis sur le plan des sciences, mais le surpasse en savoir-vivre, musique, architecture et « plaisirs de la table ».
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