La dichotomie est saisissante : des joueuses en liesse entourant la buteuse salvatrice Salma Paralluelo, 19 ans, et un homme, seul, au milieu de la pelouse. Vendredi 11 août, à Wellington, en Nouvelle-Zélande, l’équipe d’Espagne vient de valider son billet pour les demi-finales de la Coupe du monde féminine de football, au détriment des Pays-Bas (2-1, après prolongation). Une première dans l’histoire de la Roja. Pourtant, comme depuis le début de la compétition, Jorge Vilda n’est pas vraiment convié à la fête. Le sélectionneur se contentera d’une simple accolade avec quelques membres de son staff, avant de regagner les vestiaires.
Mardi 15 août, à 10 heures (heure de Paris), ses troupes affrontent la Suède pour tenter de se rapprocher un peu plus de leur rêve de remporter un premier titre majeur. En un peu moins d’un an, la Fédération royale espagnole de football (RFEF) est passée d’un conflit larvé entre le Madrilène et ses joueuses à une qualification pour le dernier carré d’un Mondial. Derrière la belle histoire, les rancœurs sont toujours tenaces.
L’affaire démarre en septembre 2022, quand quinze membres du groupe font part de leur mécontentement à l’égard de Jorge Vilda dans un e-mail commun envoyé aux hautes instances de la RFEF. En cause, la mauvaise qualité de l’entraînement proposé par le staff technique du sélectionneur par rapport à ce qu’elles endurent dans leur club respectif, et un manque de préparation tactique pour les matchs, qui expliquerait l’élimination de l’Espagne, lors des quarts de finale de l’Euro 2022 face au pays hôte et futur vainqueur, l’Angleterre.
Certaines allégations portent également sur les méthodes employées par le coach pour épier la vie personnelle des joueuses, traçant leur localisation et leurs achats, ce qui affecterait « sérieusement » leur « état émotionnel et [leur] santé ».
Des pressions de la part du club
Des cadres de l’effectif font partie de cette liste : les pensionnaires du FC Barcelone, Mapi Leon, Sandra Paños, Aitana Bonmati, Claudia Pina, Mariona Caldentey, ainsi qu’Ona Batlle et Lucia Garcia, qui évoluent sous les couleurs de Manchester United, ou encore Leila Ouahabi et Laia Aleixandri, de Manchester City. Quelques jours plus tard, sept autres internationales du Real Madrid affirment avoir subi des pressions de la part de leur club pour ne pas se joindre à l’initiative de leurs camarades.
En dépit des pourparlers entamés avec la fédération, les quinze signataires de l’e-mail se mettent en retrait de la sélection. Une fronde qui rappelle celle subie, en février 2023, par la sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre, lâchée par sa capitaine, Wendie Renard, et par ses deux attaquantes phares, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto. Fragilisée par des résultats décevants – notamment une élimination en quarts de finale de la Coupe du monde à domicile en 2019 – et privée du soutien de Noël Le Graët, ancien président de la Fédération française de football, elle avait finalement été limogée quelques semaines plus tard. Contrairement à sa consœur, Jorge Vilda, lui, est conforté dans sa position et remanie son groupe contre vents et marées.
L’ancien entraîneur de l’équipe féminine d’Espagne des moins de 17 ans était arrivé sur le banc de la Roja dans un contexte particulier. Après un Mondial 2015 raté – avec une sortie de la compétition dès le premier tour –, son prédécesseur, Ignacio Quereda, avait été contraint de démissionner de son poste après avoir fait l’objet de plaintes des vingt-trois joueuses sélectionnées pour comportements machistes et dévalorisants envers le groupe ainsi que pour un manque de préparation.
C’est « quelque chose qui appartient au passé »
Sur les quinze frondeuses, seules Aitana Bonmati, Ona Batlle et Mariona Caldentey – buteuse face aux Pays-Bas vendredi – sont de l’aventure en Australie et en Nouvelle-Zélande. D’autres joueuses ayant apporté leur soutien au mouvement, comme les cadres Irene Paredes (11 buts en 94 sélections) et Patricia Guijarro (10 buts, 50 sélections), qui avaient dénoncé « un mal-être général » lié aux méthodes de Vilda, ont aussi été écartées de la liste. Des choix forts, contestés par une partie de l’effectif, qui ont néanmoins permis à des joueuses de disputer leur premier Mondial, à l’instar de Salma Paralluelo.
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Le sélectionneur a défendu sa légitimité à travers des résultats inédits pour une équipe qui n’en est qu’à sa troisième participation à une Coupe du monde. « Nous avons un président qui a réagi avec courage, qui m’a soutenu, moi et le staff, a fait valoir le coach de 42 ans, cité par l’Agence France-Presse. Il y a beaucoup d’unité dans le groupe, une bonne ambiance, une envie de compétition, du professionnalisme et de l’ambition. » La performance de la Roja est aussi à la hauteur des progrès affichés par le football féminin espagnol à l’échelle européenne, portés notamment par les investissements récents du FC Barcelone, vainqueur de la dernière Ligue des champions.
La « fronde des quinze » a été un moment « très dur », mais c’est « quelque chose qui appartient au passé », a assuré, dimanche, la milieu de l’Atlético Madrid Irene Guerrero. Interrogée par Associated Press sur la situation au sein du groupe avant la demi-finale, l’attaquante Jennifer Hermoso, qui n’était pas parmi les signataires de l’e-mail mais qui avait soutenu ses coéquipières sur les réseaux sociaux, a, quant à elle, balayé d’un revers de main : « Je suis ici aujourd’hui, je suis très heureuse. J’espère continuer à écrire l’histoire avec mon équipe. » A commencer par ce mardi, à l’Eden Park d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, face à la Suède, troisième nation mondiale et responsable de la sortie prématurée des Etats-Unis (0-0 a.p., 5-4 t.a.b.), pourtant doubles tenants du titre, de la compétition.
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