Federico Bahamontes, le vainqueur du Tour de France 1959, est mort

Peu importe l’âge, il paraît que le vélo ne s’oublie pas. Federico Bahamontes avait remisé le sien pour de bon à sa retraite des pelotons en 1965. Afin d’entretenir sa légende, sur laquelle il veillait avec une rare attention, l’Espagnol jurait ne s’être remis qu’une fois en selle. C’était un triste jour de mai 1994, pour un dernier hommage à Luis Ocaña, vainqueur du Tour de France en 1973.

Federico Bahamontes est mort mardi 8 août à l’âge de 95 ans, a annoncé le maire de Tolède, Carlos Velasquez sur les réseaux sociaux. Né le 9 juillet 1928, à Val de Santo Domingo (province de Tolède), il rejoint son compatriote mais aussi la plupart de ses rivaux, amis ou ennemis, d’hier : les Bobet, Anquetil, Rivière, Nencini, Gaul, Poulidor…

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Lauréat de l’édition 1959 du Tour de France, « l’Aigle de Tolède » – ainsi que l’avait qualifié en 1957, Jacques Goddet, directeur de la Grande Boucle – était le plus vieux vainqueur du Tour encore en vie. Le temps ne lui a pas manqué pour narrer ses grandes victoires et défaites avec cette profusion de détails, d’anecdotes et d’excuses propre à ces champions d’une époque à peine télévisée.

« Pour rendre hommage à ma victoire sur le Tour, j’ai été le premier à rouler en vélo sur la pelouse du Bernabeu [le stade du Real Madrid] », disait-il comme pour rappeler sa place de pionnier. Premier vainqueur espagnol du Tour, il a inspiré les Fuente et Ocaña dans les années 1970 et planté la première graine qui permettra, plus tard, la floraison de cette Espagne triomphante avec les Delgado, Indurain ou Contador.

Une glace avant la descente

Si « grimpeur espagnol » a longtemps sonné comme un pléonasme, c’est parce que Bahamontes en a façonné le style. Ses qualités, le jeune cycliste les doit beaucoup à la topographie de sa ville. Perchée sur une colline au-dessus du Tage, la capitale de la Castille-La Manche offre le terrain idéal pour développer des qualités d’escaladeur. Apprenti dans un atelier de réparation de bicyclettes, c’est en jouant le coursier pour les commerçants de Tolède que l’adolescent commence à se faire les jambes. Le journaliste de L’Equipe Pierre Chany comparera sa « souplesse » à celle d’un « danseur de flamenco » quand il le verra déhancher son corps long et maigre sur les pentes abruptes des Alpes ou des Pyrénées.

Bahamontes compose aussi avec une réputation de coureur fantasque, voire fantaisiste. Pour son premier Tour de France en 1954, il passe en tête au sommet du col de Romeyère, dans les Alpes, et prend le temps de déguster une glace en attendant ses poursuivants. Le gourmand a beau rappeler qu’il s’était autorisé cette pause glacée dans l’attente d’un dépannage mécanique, la légende a pris sa place.

Le grimpeur, qui ne vivrait que d’escalades, si possible avec de gros pourcentages, sublime un jour, vite résigné le lendemain, est peu intéressé par la course au général qui réclame de la constance dans l’effort. Six fois vainqueur du classement de la montagne sur le Tour, il voit Richard Virenque le dépasser d’une unité en 2004. L’orgueil en prend un coup. Selon son aîné, le Français n’a pas l’explosivité et la classe des grands montagnards comme lui : « Il ne m’arrive pas à la cheville. Qu’il ne m’en veuille pas, mais, si lui est grimpeur, moi, je suis Napoléon. »

Avec l’aide de Gaul et des Français divisés

C’est en 1959 que l’Espagnol connaît son heure de gloire sur le Tour de France. Au pied du podium trois ans plus tôt, il a vu ses espoirs s’envoler en 1958 dès les premières étapes en raison d’une douleur au ventre qu’il craint être un début d’appendicite, avant, tout juste remis, d’être le seul à s’accrocher à la pédalée aérienne de Charly Gaul dans les Alpes et de remporter deux étapes.

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Avant de prendre le départ à Mulhouse, fin juin 1959, Bahamontes, 31 ans, a annoncé la couleur : le jaune et rien d’autre. Gaul, Bahamontes… Les deux meilleurs grimpeurs de leur génération se respectent, même si l’Espagnol juge le Luxembourgeois comme « un drôle de type qui matait les couples à l’hôtel par le trou de la serrure ». Lâché au général sur ce Tour 1959, Gaul se révèle un compagnon d’échappée précieux pour lui sur la 17e étape entre Saint-Etienne et Grenoble. Au premier l’étape, au second le maillot jaune.

Les jours suivants, le leader vacille face à la menace d’Henri Anglade. Heureusement pour l’Espagnol, les Anquetil, Rivière et Bobet (qui cohabitent en équipe de France) préfèrent favoriser son destin que de voir un « petit coureur » de l’équipe régionale Centre-Midi triompher à leur place.

Un musée à sa gloire

En 1963, « l’Aigle de Tolède » plane encore, mais termine deuxième derrière un Jacques Anquetil intouchable lors du dernier contre-la-montre. L’année suivante, il complète sa collection avec la seule place manquante à son palmarès, la troisième.

Devenu gérant d’un magasin de cycles et de vélomoteurs à Tolède après sa carrière, il aimait faire visiter le musée à sa gloire. En 2009, il promène le journaliste du Monde, Jean-Louis Aragon, dans les rues de sa ville où, dit-il, « on me traite comme un roi ».

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Depuis un moment déjà, la nostalgie était devenue une amie fidèle. Dans ses souvenirs, le soleil brûlait les corps, ses mains étaient placées en haut du guidon, alors il grimpait encore et encore l’Aubisque, le Télégraphe ou l’Izoard, seul en tête bien sûr. « Je revis ces moments tous les jours, avouait-il. Tout ça me donne toujours autant d’émotion, et suivre les courses d’aujourd’hui, revoir les endroits où je suis passé, j’en ai la chair de poule et je suis heureux. » L’Espagne, elle, est triste aujourd’hui.

Federico Bahamontes en quelques dates

9 juillet 1928 Naissance à Val de Santo Domingo (province de Tolède)

1954 Premier d’une série de six succès au classement de la montagne dans le Tour de France

1959 Vainqueur du Tour de France

1965 Arrête la compétition

8 août 2023 Mort à 95 ans

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