La saga des Gilberto, une vie bohème de bossa-nova

A Rio, l’océan Atlantique est parfois furieux, beau, sauvage. Il ne laisse alors personne entrer dans ses vagues. À peine permet-il d’en effleurer les vastes écumes. Les 8 kilomètres de plage de la Zona Sul de Rio – Leme, Copacabana, Ipanema et Leblon – s’étendent, en gros, du Pain de Sucre à la pointe rocheuse de Vidigal, une favela qui, le soir tombé, brille de mille lumières. Il est une musique qui a rythmé la pulsation tellurique et jouisseuse de cette jungle urbaine, dominée par les collines et la forêt : la bossa-nova. Et il est une famille qui l’a chantée et menée vers un destin transaméricain, les Gilberto.

Le patriarche de cette dynastie, c’était João Gilberto, l’inventeur, avec Antônio Carlos « Tom » Jobim et Vinícius de Moraes, de la bossa-nova, mort en 2019 à l’âge de 88 ans. Incarnation planétaire et chic de la Girl from Ipanema, l’interprète de ce tube mondial, sa première femme, la chanteuse Astrud Gilberto, 83 ans, s’est éteinte en juin à Philadelphie, où elle vivait. Fin août, Bebel Gilberto, née à New York en 1966, fille de sa seconde épouse, Miúcha, a publié son septième album, intitulé João, un hommage fin et rayonnant à son père.

« Ça fait longtemps que je travaille en famille », dit en souriant Bebel Gilberto, de son vrai nom Isabel, en tournée américaine estivale, flanquée de sa chienne Yorkshire dénommée Ella en l’honneur de la chanteuse de jazz Ella Fitzgerald. Elle évoque un souvenir d’enfance, une soirée, le 4 juillet 1975, au Avery Fisher Hall de New York. Elle a 9 ans, les cheveux noirs et bouclés, le regard intense. Miúcha, sa maman, est en coulisses avec le trompettiste Dizzy Gillespie, « un monsieur tout gentil », qui s’amuse des fossettes de l’enfant.

Le grand saxophoniste Stan Getz est sur scène. Papa doit le rejoindre. Mais voilà, il ne veut pas. Bebel ne se souvient plus pourquoi. Elle se rappelle seulement la petite tape dans le dos, le « Vas-y, toi ! », qui la propulse sur la scène. Elle ne sait pas quoi faire. Elle se met à chanter, rejointe par sa mère. Le lendemain, le New York Times évoquera élogieusement la prestation de la débutante, lancée, sans trop de ménagement, dans la spirale de la renommée.

Passions amoureuses et amicales

Ce jour-là, la petite fille est devenue une Gilberto, l’un des membres de cette saga brillante et parfois heurtée. Une famille dont le parcours épouse les évolutions du Brésil, au même titre que les Gainsbourg-Birkin ont pu incarner le vent de liberté qui agitait la France des années 1970. Les Gilberto personnifient une bohème artistique, carioca, éclairée, très cultivée, nourrie d’arts et d’humanités. Et de passions amoureuses, amicales et d’excentricités. Avec des mots ciselés et une matière sophistiquée, ils surent bâtir des succès planétaires.

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